dimanche 4 mai 2008

Leonor NURIDSANY



une histoire vraie 2008
> texte pour the white patch ...
> supports en plexiglas et carlène par g.constantin
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UNE HISTOIRE VRAIE


Ma voisine sonne à la porte. Elle m'insulte. D'abord gentiment — oui, elle m'insulte gentiment — puis le ton monte et les mots deviennent agressifs. Tout cela à cause de la porte du local à vélo qu'on a mal fermé, Elle est persuadée que c'est moi. Je m'évertue à lui faire croire qu'elle se trompe, mais elle persiste. Je commence à perdre patience, et voyant que je n'arriverais pas à lui faire accepter mes mensonges, je décide de mettre fin à cette situation en lui administrant une énorme gifle. Elle perd l'équilibre et reste plantée là, l'air effaré.
C'est une histoire vraie !
Je l'ai vécue dans un de mes rêves.
Les rêves sont généralement assez ordinaires. À quelques détails près, cependant. Mais tout est dans les détails.
En raison de cette quasi "normalité", au réveil, il reste un goût étrange. Et un trouble. Qu'il s'agisse de réminiscences inconscientes ou de souvenirs apparemment réels.
J'avoue qu'à plusieurs reprises, il m’est arrivé de me comporter avec des gens dont j'avais rêvé, comme si le rêve continuait. De même, quand je sors d'une salle de cinéma ou quand je termine un livre, la rupture physique entre le monde quitté et la "réalité", tranche avec le prolongement mental qui s'opère entre les deux territoires. Ce qu'on vit alors se compose de résidus d'images et de sentiments en provenance de l'univers abandonné qui se déversent dans celui qui s’ouvre.
Avec les jeux vidéos — en particulier ceux de rôle — étrangement, les joueurs ne cherchent pas de décors ou de créatures spectaculaires ni de scénario sortant de l'ordinaire. Au contraire, l'ordinaire les attire, à condition de le bousculer un peu. Prenons les Sims : ce jeu permet de reproduire un cadre de vie normé et organisé mais dans lequel les joueurs vont prendre toutes les libertés.
Liberté encore, dans Peter Ibbetson de Georges Du Maurier - une merveille - où la triste monotonie de la vie côtoie la magie des rêves. Une autre dimension s'ouvre ici : celle des rêves réellement vécus. Ibbetson atteint une telle perfection dans cet art que, là aussi, le réel appartient autant au songe, au rêve, à l'imaginaire, qu'à la vie "éveillée".
À l'opposé, L'éternelle histoire de Karen Blixen, magnifiquement adaptée au cinéma par Orson Welles, raconte comment l'ennui d'un riche homme d'affaire le conduit à donner vie à une légende. La fable quitte le domaine de la fiction et prend corps en se réalisant. À ce stade du récit on ne sait plus si l'invraisemblable idée de cet homme est vraie ou si l'histoire elle-même ne figure pas à l'origine de la légende. Le sens de la narration s'inverse, le temps se rebelle, la fiction et le réel se brouillent et se mêlent.

Le cerveau, quel organe fascinant ! Palpable et produisant de l’immatériel à la fois. Petit objet, capable de stocker de la matière à l'infini, réinjectée plus tard dans les rêves, dans la vie éveillée, et probablement dans d'autres espaces que nous ne connaissons pas encore.

Leonor Nuridsany



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